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Serviteurs ou Amis ?

" Je ne vous appelle plus serviteur mais ami " (Jn 15, 15)

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Sg 7:27- Bien qu'étant seule, elle peut tout, demeurant en elle-même, elle renouvelle l'univers et, d'âge en âge passant en des âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes;
Sg 7:28- car Dieu n'aime que celui qui habite avec la Sagesse.

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Le Seigneur vint se placer près de lui et il appela comme les autres fois : « Samuel ! Samuel ! » et Samuel répondit : « Parle, ton serviteur écoute. »

Source http://dominicain.net/homelieamitiedivry.html

Vivre sans un peu de sympathie est impossible. Un ami apparaît comme le bien ici-bas le plus précieux (cf. Saint Thomas d’Aquin, ST, IaIIæ, q. 4, a. 8). Cette affirmation est-elle bien raisonnable tandis que le monde contemporain soupçonneux présente comme impossible l’amitié (un phantasme libidinal), alors que le philosophe antique (Aristote), au soir de sa vie, après avoir traité magnifiquement de l’amitié (Ethique à Nicomaque), s’exclame désabusé : " Oh mes amis, il n’y a pas d’amis !" (Agraphon dans Diogène Laerce in Marcel CLEMENTUne histoire de l'intelligence, La soif de sagesse, Paris, Editions de l’escalade, 1979, p. 300)? À l’opposé de tous ces doutes, Jésus nous enseigne et nous propose l’amitié : " Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande " (Jn 15, 14).

Quoi ! l’amour, l’amitié pourraient-ils être les fruits d’un ordre ? Il nous apparaissent au contraire comme les fruits spontanés d’un sentiment ! Comment commander l’amitié ?

Le Seigneur insiste pour que nous comprenions bien qu’il ne s’agit pas de notre effort mais d’un don gratuit de sa part : " Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi; mais c’est moi qui vous ai choisis […]. Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres " (Jn 15, 15-16). L’amour, l’amitié, ce sont donc de vrais cadeaux de Dieu !

Mais, au centre de ce passage biblique, qu’est-ce que " l’amitié " que procure Jésus ? En quoi consiste ce modèle d’ami que nous présente le Seigneur pour vivre la charité ? En ce mois de Mai, ne serait-il pas beau de méditer l’amitié de Dieu offerte à l’humanité tout entière, à travers la Vierge Marie laquelle en est bien le type et même la réalisation ?

Sept qualités de l’amitié ressortissent plus intensément à ce prototype biblique (sur les six premières, voir Saint Thomas d’Aquin, Contra Gentiles IV, cap. 21-22) :

1/ Il y a d’abord l’échange de connaissance personnelle, l’ouverture à l’autre en sorte que la rencontre puisse tendre à faire de deux un cœur unique. Or Marie, ayant connu l’Incarnation du Christ par le message de l’ange, " méditait tous ces événements dans son cœur " (cf. Lc 2, 19). Elle cherchait donc à davantage approfondir sa connaissance pour mieux aimer. Puissions-nous à notre tour nous ouvrir aux autres, accepter de nous dévoiler, consentir à creuser le sens de notre relation !

2/ Le partage des biens révèle toute vraie amitié naissante. La péréquation, c’est la première conséquence concrète de ce début d’amitié. Remarquons à propos que Dieu a partagé d’emblée ce qu’il est, sa plénitude de grâce, à Marie la fille bien-aimée du Père. Effectivement l’ange Gabriel annonce à Marie qu’elle est " comblée de grâces " (Lc 1, 28) ! Puissions-nous avoir ce sens du partage là où l’amitié nous tend la main, et le cœur !

3/ La joie intérieure manifeste de surcroît une amitié réussie, un attachement authentique. Tout de suite, avant même tout autre parole, le Seigneur par l’ange transmet à Marie une annonciation de joie : " Réjouis-toi, Marie, comblée de grâces " (Lc 1, 28). Cette joie demeure toute intérieure même si elle peut à l’occasion se muer en allégresse extérieure, en liesse collective. Soyons attentifs à la joie d’autrui, c’est le test de l’amitié.

4/ Le pardon des offenses assure la pérennité de l’amitié véritable. Il faut bien reconnaître que nous nous blessons, nous nous heurtons sans parfois le savoir. La différence des habitudes, d’éducation, de mœurs, mais aussi la roideur des intelligences, les consciences mal dégrossies, les désirs velléitaires, font souvent mal aux autres et à nous-mêmes. Et sans indulgence ni clémence l’amitié s’étiole. Pour qu’il y ait pardon, il faut accepter de se dire les choses, d’être transparents. N’est-ce pas une leçon de transparence qu’offre Marie lors de l’épisode du recouvrement de Jésus au Temple ? Marie dit sa souffrance avec celle de saint Joseph : " Vois ton père et moi, nous te cherchions angoissés " (Lc 2, 48). Puissions-nous être transparents comme Marie pour qu’advienne le pardon entre nous.

5/ Il y a aussi l’harmonie des volontés qui marque l’amitié véridique : " idem velle, idem nolle (même vouloir, même non-vouloir) " (cf. Salluste, cité par Benoît XVI dans DCe, n. 17). C’est bien le cas aussi de Marie qui ajuste sa volonté à celle de son Fils à Cana. Elle présente sa demande de manque de vin pour l’assemblée nuptiale, mais se voit recevoir comme réponse ce qui pourrait ressembler à une rebuffade (cf. Jn 2, 4  : " Femme, que me veux-tu, mon heure n’est pas venue "). Elle ajuste alors sa volonté à celle de son Fils en disant aux serviteurs : " Faites tout ce qu’il vous dira " (Jn 2, 5). Et elle obtient la création d’un vin de noce nouveau, ce qui exauce au-delà de toute attente sa demande initiale. Puissions-nous être solidaires les uns des autres en ajustant nos volontés, et en nous remerciant réciproquement de nos contributions simultanées.

6/ En outre, il apparaît capital que l’admiration perdure lors d’une vraie amitié quelle que soit l’épreuve, quelle que soit l’adversité. C’est bien le cas de Marie au pied de la Croix, elle reste debout (cf. Jn 19, 25), contemplative, admirative de son Fils qui donne tout, pardonne tout et remet librement son esprit au Père. Puissions-nous maintenir nos amitiés quel qu’en soit le prix. La fidélité se montre le gage de notre attachement malgré l’épreuve du temps. À l’inverse souvent de l’esprit utilitariste du monde, puissions-nous demeurer fidèles et loyaux en amitié !

7/ Enfin l’amitié est toujours unique. Rien ne la remplace. Un ami vous manque, et le monde devient solitude, a-t-on remarqué depuis toujours. Mais ce trésor de la vraie amitié n’est pas à conserver de manière égoïste, il appelle le partage. Et en ce domaine, ôh combien Marie a eu une amitié singulière avec Dieu au point d’être la seule à être totalement Mère de Dieu, Mère du Monogène (cf. Jn 1, 14), du Fils unique de Dieu le Père, du Verbe incarné ! Et pourtant, son cœur de Mère s’est ouvert à Jean, le disciple bien-aimé de Jésus, derechef au pied de la croix (cf. Jn 19, 26). Et voilà qu’elle est devenue Mère de l’Église et notre Mère à tous. Puissions-nous à notre tour partager la lumière qui nous habite et inclure les autres dans nos belles amitiés qui nous relient au " Père des lumières " (cf. Jc 1, 17).

Oui, frères et sœurs, ce partage des sept qualités de l’amour à travers le modèle de l’amitié en tant que celle-ci se comprend correctement comme connaissance - ouverture à autrui, partage des biens, joie intérieure, pardon des offenses, admiration pérenne, harmonie des volontés, amour sans exclusivité mais inclusif des autres, n’est réellement possible que parce que, à la source, Jésus a bien voulu rendre possible son amitié pour nous : " Je ne vous appelle plus serviteur mais ami " (Jn 15, 15). Loué soit notre Seigneur Jésus-Christ pour toutes ces amitiés ! Merci à Jésus qui rend possible cet amour avec Dieu et avec nos frères ! Merci à la Bienheureuse Vierge Marie qui nous donne un modèle si probe de l’amitié, celui demeure efficacement à jamais.