[Accueil]
[Remonter]

La Chapelle Notre Dame du Rosaire ( Matisse ) de Vence

des Sœurs Dominicaines de Monteil

 

L'ultime prière de Matisse

 

Source Web

 

Cette page est une copie de la page ici écrite par le journal La Croix par Dominique GERBAUD , ex  rédacteur en chef à La Croix.

Nous remercions en particulier Sr Myriam, Sr Pascale, Sr Magdalena ( au Ciel ), Sr Marie Pierre qui nous fait les chants le dimanche, les autres Soeurs, les dominicains de Nice  et surtout notre prêtre le Père Simon Trotabas. ( Michel  Laudet ).

 

Conçue, édifiée dans le moindre détail par le maître du fauvisme Henri Matisse, cette minuscule chapelle est d'abord un lieu de

recueillement magnifiquement réussi

Quand le travail fut fini, Soeur Jacques-Marie, qui connaissait par coeur le projet et accompagna Henri Matisse dans son

travail, fut un peu effrayée par le résultat. « Que vais-je entendre ? Et les soeurs, comment vont-elles le prendre ? »

Alors que le maître lui demande instamment son avis, elle veut un peu de recul. « Laissez-moi revenir, un autre jour, je

vous le dirai. » La soeur dominicaine est « écrasée ». « Il a fallu que je digère ce , que chemin de croix je le comprenne et

me sente assez forte pour lutter. » Elle pressent que la chapelle Matisse risque de ne pas « passer ». Que le chemin de

croix est d'une rare violence, les dessins d'une trop grande sobriété pour une église, l'autel tourné vers le public.

Nous sommes en 1951, le Concile n'est pas annoncé. « Et pourquoi le sein ? », demande-t-elle à Matisse. « C'est pour

montrer la maternité de la Vierge, sans cela elle n'aurait pas sa raison d'être », lui répond le maître. Et pourquoi la

violence du chemin de croix ? « Parce que c'est un drame, ma soeur. Tout s'y enchevêtre et se déroule à une grande

vitesse. »

Soeur Jacques-Marie n'est qu'à moitié convaincue. Et pourtant, très vite, elle aime profondément cette chapelle. Un peu

parce qu'elle respecte le maître et partage avec lui une profonde complicité, mais surtout parce qu'elle a suivi, compris,

partagé sa démarche novatrice. En peu de temps, elle a tout compris. Mais elle devine qu'il va falloir expliquer les choix

du maître et, à l'époque, il n'y avait pas d'experts en communication. Surtout dans ce domaine.

Mal reçue au départ

Et ce qu'elle redoutait arriva. La chapelle Matisse est mal reçue. « Cet édifice fut une révolution, ce modernisme était

difficile à faire admettre. Beaucoup de visiteurs nous insultaient et ne se gênaient pas pour l'écrire sur le livre d'or. Il y eut

même quelques manifestations dans la chapelle, nous réussissions à rétablir le calme, mais non sans mal. »

Le temps a passé et tout cela est oublié. La chapelle attire aujourd'hui 70 000 visiteurs par an et, pour une très large

majorité, c'est l'éblouissement. « Des gens pleurent en entrant, nous raconte Soeur Myriam, responsable de la

communauté des dominicaines du Rosaire, propriétaire du lieu. C'est une émotion qui n'est pas seulement artistique.

C'est la modestie de la chapelle, sa simplicité, son extraordinaire limpidité et tout cela résonne fort chez certaines

personnes. »

Il est avéré aujourd'hui que Matisse a gagné son pari, parce que, comme le disait un visiteur, « la simplicité du lieu porte à

la méditation ». « Et c'est tellement simple que c'est beau », dit un autre. Un troisième met en avant la « sincérité » du

lieu, « il fallait qu'il croie pour faire ça ». Et tous d'insister sur le jeu des couleurs, sur cette dominante bleue qui donne une

légère impression violette aux murs blancs d'en face.

Car Henri Matisse qui a tout conçu dans cette chapelle, a voulu des vitraux côté sud et, de l'autre, des murs blancs et

quelques traits noirs pour recevoir la lumière. Pour les vitraux, il utilise trois couleurs. Le vert et le bleu transparents. Vert

de la végétation, bleu de la mer et du ciel pour évoquer la création. Le jaune, lui, est opaque. Il ne laisse rien passer.

Pourquoi ? Parce que le jaune de Matisse, c'est la couleur du soleil, et le soleil, c'est la lumière. Et la lumière, c'est l'image

de Dieu, ce Dieu qu'on ne peut pas voir avec nos yeux.

 

"On ne s'arrête pas aux visages sur le chemin vers Dieu"

Ce jeu de lumière, ces reflets sur les murs blancs donnent, dans une surface très limitée, l'idée d'immensité. « Le rôle de

la peinture, dira Matisse, est d'agrandir les surfaces, de faire en sorte que l'on ne sente plus les dimensions du mur. Je ne

dispose que d'un petit espace, je veux lui donner une dimension infinie. » C'est gagné. La chapelle n'a que cinq mètres de

large sur quinze de long et cependant on respire, on n'a pas du tout l'impression d'être enfermé, à cause des murs blancs

et des lumières changeantes. La perfection des formes abolit les dimensions de l'espace et les reflets des vitraux sur les

céramiques luisantes animent la chapelle. Tout est repos et quiétude.

C'est bien ce que voulait Matisse. « Ce sera, disait-il, une chapelle où tout le monde pourra espérer. Quelle que soit sa

charge de fautes, on pourra la laisser à la porte, comme les mahométans laissent la poussière des rues sur la semelle de

leurs sandales à la porte des mosquées. » Ainsi le ressentent les habitués de la communauté des soeurs dominicaines dont Michel.

Une jeune femme apprécie que Matisse ait tout fait en transparence, y compris les visages sans traits de Marie et de

. « Comme cela, on ne s'arrête pas aux visages sur le chemin vers Dieu. » Une autre fait remarquer Jésus que la grande

figure de saint Dominique est certes omniprésente, mais que « pour le voir, il faut passer par l'autel. Il n'est pas premier à

notre regard. Ce qui est premier, c'est l'autel avec l'eucharistie. Dominique, ce n'est pas une idole, pour aller à lui il faut

passer par le Seigneur et on ne se prosterne pas devant lui, mais devant le Seigneur. »

"Quelque chose de pur et de simple qui aide à prier"

Une petite communauté d'une vingtaine de personnes se retrouve à la messe quotidienne. Autant pour la sérénité du lieu

que la chaleur des Soeurs ou le charisme du P. Simon Trotabas, prêtre résident, ancien chanoine de la cathédrale

d'Antibes, homme exceptionnellement attentif et chaleureux. Catherine Poivre d'Arvor, soeur du journaliste, ne tarit pas

d'éloges sur le prêtre : « Il a les mots qui nourrissent notre journée. Et si je viens tous les jours, c'est aussi parce qu'il y a

dans ces murs quelque chose de pur et de simple qui aide à prier. Chaque personne qui entre trouve ici un lieu de

ressourcement où elle peut se reposer, quelle que soit sa croyance. »

Au moment où Catherine s'éloigne, en ce début de journée, les nuages dispersés laissent entrer le soleil. Un camaïeu de

bleus et de verts se répand sur le sol de marbre blanc. Le jaune prend de la puissance, s'enflamme, retient le regard et

éloigne l'extérieur. C'est l'instant idéal du retour sur soi. C'est aussi le moment où la chapelle s'éveille. Les visiteurs vont

arriver.

Les cinq soeurs dominicaines partent chacune à leur occupation. Eh oui, elles ne sont plus que cinq pour faire vivre le

couvent ! Deux ont la charge de la chapelle Matisse pour la visite commentée et la réception, et trois pour l'accueil des

hôtes. Car les Soeurs dominicaines du Rosaire avaient conservé cette tradition de recevoir chez elles ( mise a jour 2013 ). Non plus pour des

malades ou des convalescents, ni pour animer des retraites spirituelles, mais pour accueillir des hôtes de passage venus

visiter la région ou participer à des stages de sculpture ou de vitraux. Et bien sûr découvrir la chapelle de Matisse.

"Il y a comme une main qui vous pousse vers la vie"

C'est une forme d'apostolat que de faire découvrir ou redécouvrir le Dieu de la vie grâce à Matisse. Elles insistent : «

Quand on entre dans la chapelle, on est poussé dans le dos vers le vitrail de l'arbre de vie. On ne peut pas échapper à la

souffrance, mais on ne s'y arrête pas, il y a comme une main qui vous pousse vers la vie. »

Ce Dieu de Matisse, nous disent-elles, c'est celui de la lumière, de l'apaisement, de la purification. Le Père Simon le rappelle

: « Ici, c'est le Dieu de la vie, de la vie plus forte que la mort. » C'est un Dieu qui apaise. « Matisse, dit Soeur Myriam, aujourd'hui a Vincennes,  a

voulu faire pénétrer la lumière comme la lumière de Dieu pénètre dans le coeur de chacun. » Il est vrai qu'il n'y a aucun coin d'ombre dans cette chapelle, comme il ne devrait pas y en avoir dans l'homme. Soeur Marie-Pierre qui m' a donné la communion ce matin du dimanche 28 juillet 2013 ( le Corps, le Sang, l'Ame et la Divinité de Notre Seigneur ),  souligne l'atmosphère de paix : « C'est très serein et très pur. » Henri Matisse a donc gagné son pari, lui qui voulait « que ceux qui

entreront se sentent purifiés et déchargés de leurs fardeaux ».